Je trouve pertinente la proposition de Madame Eva Joly relative aux fêtes religieuses juive et musulmane du Kippour et de l’Aïd, pour en faire des jours fériés. Et constate que les crispations ou du camp soi-disant laïque viennent joindre leurs efforts aux tenants du tout contre l’islam et du « l’Europe est chrétienne ».
Parlons des jours fériés que nous avons déjà, et faisons le point.
Un jour concédé par les Empereurs romains le 1er janvier, vieux reste des religions civiles. Celui de Noël reste ambigü, puisque c’est l’ancien Dies Natalis (culte du Soleil Invaincu) établi par Constantin auquel les temps ont substitué une fête chrétienne, le 25 décembre.
Le 1er mai pour la fête du travail, le 14 Juillet pour la fête de la patrie ou de la Nation. Le 8 mai et le 11 novembre pour la commémoration de la fin d’hostilités qui ont endeuillé notre pays durant le XXème siècle.
Ensuite Pâques et Lundi de Pâques, Ascension, Pentecôte et Lundi de Pentecôte, soit 5 fêtes chrétiennes dont les dates sont fixées selon le calendrier des Eglises Occidentales de la Méditerranée (encore que je n’ai pas compris pourquoi les lundis), et puis, pour les catholiques romains le 15 août. Les chrétiens orthodoxes ne voient pas leur calendrier pris en compte…
Soit 4 fêtes républicaines, une civile, 6 religieuses, soit chrétiennes soit spécifiquement catholiques. 11 journées.
Le patronat essaie fréquemment de rogner le nombre de ces jours chômés et fériés, où le salaire mensuel est versé sans contre - partie travaillée, ou alors à un tarif plus élevé. Souvent les syndicats défendent ces jours, non pour leur symbolique, mais comme un acquis salarial… Il est arrivé que des gouvernements tentent de revenir sur le 8 mai (à cause de sa proximité avec le 1er mai et souvent l’Ascension, ce qui fait si souvent du mois de mai un mois très haché. On a plus ou moins mis le Lundi de Pentecôte hors jeu, malgré les cris de l’Episcopat et des aficionados nîmois, ce qui, même chômé nous met entre 10 et 11 jours.
Mais s’en tenir à une vision purement financière des jours fériés et chômés est par trop limitatif : c’est même un dévoiement.
La raison d’être symbolique de ces jours est en jeu. Et l’on a vu l’exemple du 8 mai montrer la charge symbolique (multiforme sans doute) que revêtent ces jours particuliers. Ils consacrés non seulement par l’usage, mais signes d’un moment qui appartient à un temps du peuple… mais l’on sait qu’on n’a jamais qu’un peuple introuvable, sinon celui qui se retrouve sur un de ces moments symboliques. Le maintien des fêtes religieuses chrétiennes (dont le catholique 15 août) démontre la volonté de paix civile à laquelle les gouvernements de la 3ème République ont contribué tout en établissant progressivement les lois de laïcité.
Dans cette perspective, invoquer la laïcité ou la loi de 1905 pour s’opposer à la proposition remise au fil de l’actualité par Eva Joly, me semble être signe de crispations, de paresses intellectuelles, résultat de cette habitude prise de s’en tenir à des formules réductrices et non fondées au point d’en être même à l’opposé du sens et de l’esprit de la Loi du 9 décembre 1905. S’il y a une égalité de droit entre les cultes, on constate surtout une inégalité de fait, puisque le culte catholique a un jour férié pour une fête qu’il est seul à célébrer, et les religions chrétiennes cinq. C’est donc une inégalité, très ancienne à l’égard du judaïsme, qui pourtant était présent en Gaule avant que le christianisme n’existe, et contemporaine à l’égard de l’Islam. Or l’article 1 de la loi du 9 décembre 1905 inscrit « la République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte ». « Ne reconnaît », cela veut dire qu’il n’y a pas un culte qui pourrait se prévaloir d’un quelconque droit de prédominance… Par contre l’usage bien connu est que si la République ne reconnaît pas les cultes (il n’y a pas de culte officiel), « elle les connaît ». Il faut poursuivre : si la République connaît les cultes, c’est qu’en l’article deux de la-dite loi, elle garantit la liberté de l’exercice du culte, sauf trouble à l’ordre public. Le maintien des jours fériés pour les fêtes carillonnées chrétiennes, en un temps de forts affrontements est là pour démontrer que la République donnait aux chrétiens les moyens de participer à ces fêtes qui rassemblent au-delà des fidèles réguliers. Une sorte de pragmatisme pacificateur, démontrant que la laïcité à la française n’est pas anti-religieuse, mais pacificatrice. Sur le fond, la loi de 1905 ne signifie nullement l’envoi des religions dans la seule sphère privée les excluant de la sphère publique, elle pose un double principe : celui du libre exercice de la religion (individuel et collectif), et celui du refus de la contrainte d’exercer une religion contre son gré. Ce n’est pas l’antagonisme entre public et privé, mais celui qu’il y a entre liberté et contrainte.
[«L'égalité et la laïcité auront avancé dans notre pays», a déclaré lors d'une «Nuit de l'égalité» au Bataclan la candidate écologiste à la présidentielle, se référant au rapport Stasi sur «l'application du principe de laïcité».
Remis fin 2003 au chef de l'Etat, la commission Stasi préconisait notamment de «faire des fêtes religieuses de Kippour et de l'Aïd el-Kébir des jours fériés dans toutes les écoles de la République» et, «dans le monde de l'entreprise, (de) permettre aux salariés de choisir un jour de fête religieuse sur leur crédit de jours fériés».]°
Elle a raison Eva Joly, sauf à considérer la laïcité comme une marche progressive vers l’éradication du religieux. Il faut sans doute reprendre le calendrier des jours fériés, moduler les formes de ces jours fériés, mais il s’agit d’une Nation qui s’honorerait à faire progresser la pacification des esprits par une égalité de traitement, sans démonisation… Une société qui soit fière de faire place au droit de chacun.
Je suis aussi partisan d’une « Journée de la Laïcité », le 9 décembre… non fériée et chômée, mais manifestée dans les écoles, et ayant une solennité (comme le 19 mars par exemple, ou comme pour la journée de la Déportation).
Je regrette les frilosités et constate que certains laïques préfèrent encore une situation d’inégalité plutôt qu’une avancée dans la façon de garantir la liberté d’exercice du culte pour tous. On ne peut invoquer la loi pour dire ce qu’elle interdit (signes ostentatoires par exemple) et refuser qu’elle soit invoquer pour dire ce qu’elle doit ouvrir. Dans une société pluraliste, il ne peut y avoir un seul sens.
Par contre, j’ai accueilli avec colère ceux-là qui se réfugie derrière le côté « France aux racines chrétiennes », le coup de la « fille ainée de l’Eglise » etc… (encore une fois, ils oublient que les juifs étaient là avant le christianisme… Ils montrent du reste que l’Eglise catholique ne dépend pas tellement de la loi du 9 décembre 1905, mais surtout du traité de 1923 entre la République et le Saint-Siège, ce qui crée un droit un peu particulier. Si c’est eux qui l’emportaient, ce serait le maintien des privilèges (au nom du droit du premier occupant sans doute ?)…
Bon, je ne suis pas sur que la présidentielle aidera ce débat à avancer : les esprits sont échauffés, un peu obscurcis. Peut-être un jour dépasserons-nous le stade des clichés, pour revenir au fond du droit, tel que notre République a su le mettre en œuvre, avec pragmatisme et lucidité.
° tiré du blog du Figaro