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21 janvier 2012 6 21 /01 /janvier /2012 18:01

Quand Dieu a découvert l’amour !

le récit du Déluge et de l’Alliance avec Noë dans Genèse 6:5 à 9:17

     Longtemps, j’ai pris l’Alliance avec Noë pour une  « petite » Alliance, une espèce de vague extension universalisante des si fortes et prégnantes Alliances passées avec Abraham, Moïse ou David. Cette simple promesse de ne plus détruire la terre, de ne plus la dévaster me semblait être un peu pâle et faible. Mais j’admettais bien qu’on ne lâche pas tout au départ, qu’on se garde des provisions pour la route. Et finalement Dieu avait bien raison d’en rester à une simple clause de protection –non négligeable au demeurant- : c’est après, dans le cours du déroulement de l’histoire qu’il aurait peu à peu, et de façon éducative, l’occasion de s’installer dans le cœur de l’homme.

     Pour moi, c’est devenu un de mes textes de référence : il est au « Top 50 » de mon « canon dans le canon ». Mais c’est très subjectif. Voici simplement un cheminement entre quelques formules clés du récit et les observations subjectives que cela fait naître en moi : comme un partage à bâtons rompus.

1- « Le Seigneur vit que le méchanceté de l’homme se multipliait sur la terre : à longueur de journée, son cœur n’était porté qu’à concevoir le mal » (6 :5).
« Dieu regarda la terre et la vit corrompue, car toute chair avait perverti sa conduite sur la terre. » (6 :12)
     Voilà une terrible constatation pour l’auteur de la Création ! Que sait-on du sentiment de l’échec ? Que peut-il bien se passer quand les choses ne se déroulent pas comme on le voudrait ? De l’écoeurement et de l’indignation, de la rage au ventre et du dépit, de la fureur et une ferme condamnation.
     En l’occurrence si Dieu est celui que les déistes ont appelé le « Grand Architecte de l’Univers », le voilà atteint par la clause de garantie décennale qu’on peut faire jouer contre tout constructeur défaillant. Ou Dieu serait-il atteint  de ce qu’on appelle chez les parents, les éducateurs et les églises « la crise de la transmission » ?
     Autre question : Voilà qu’à l’aube de l’humanité, Dieu constate que la nature humaine et les logiques qui en découlent ne sont pas les siennes. Mais cela a-t-il fondamentalement changé depuis. Si l’humanité a fait des progrès techniques et artistiques, a-t-elle vraiment changé depuis la veille du Déluge ? N’avons-nous pas là un écho de l’anthropologie pessimiste que Calvin par exemple reprendra, à l’encontre des rousseauistes et autres penseurs de l’homme « naturellement bon » ? Alors, certes, il y a bien « Noë, homme juste qui fut intègre…et suivit les voies du Seigneur » (6 :9). Mais après le Déluge, une fois Noë sorti de son Caisson étanche, Dieu ne fait-il pas ce constat maintenu : « Certes le cœur de l’homme est porté au mal dés sa jeunesse, mais plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait » (8 :21) ?
     Entre-temps, il s’est passé le Déluge, mais rien ne semble avoir changé. Le pire c’est que désormais ce constat s’établit sur la descendance de Noë le juste… De quoi nous désespérer de nous-mêmes. Ainsi donc le texte biblique nous dit que le Déluge n’a rien changé du côté de l’être humain, de son cœur « naturellement enclin au mal », de sa méchanceté et de sa corruption. Sur ce fil rouge-là, rien n’a bougé. Il nous faut donc aller voir ailleurs ce qui a pu changer entre l’avant et l’après-Déluge. Sinon ce n’était pas la peine de tout effacer, de tout démolir pour que tout reparte à l’identique. Ou alors ce serait comme dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que tout reste comme avant. ».

2- « Et Dieu se souvint de Noë… » (8 :1)
     Ce passage-là est pour moi un déclic, je dirais même le temps le plus émouvant et bouleversant. Un instant qui ouvre un nouveau cours pour l’humanité. Quand plus tard les hébreux seront en servitude en Egypte, et qu’ils gémiront, on aura de même « Dieu entendit leur plainte : Dieu se souvint de son Alliance avec Abraham, Isaac et Jacob…Dieu se rendit compte » (Ex. 2 :24 s).
     Il se passe ainsi des moments où Dieu aurait oublié, et des moments où Dieu se rappellerait… Je frémis à la seule idée que Noë et les siens, flottant sur les eaux dans le Caisson étanche aurait pu y flotter pour une éternité, si Dieu ne s’en était pas souvenu. Mais au fond dans les détresses et les errances, il nous arrive de nous demander ce que nous avons fait au Seigneur, mais il nous arrive aussi, temps suprême de la désespérance de nous demander s’il ne nous a pas simplement oublié. Alors sonne le « il se souvint » ! Et désormais c’est cela et rien d’autre qui prend sens.
     Mais que s’est-il passé. Selon moi, en déclanchant par les eaux du Déluge son courroux et sa « juste » condamnation, Dieu a été à ses propres yeux victime de la violence de sa propre justice. Comme si, une fois la dévastation du monde corrompu et violent mise en œuvre, il ne restait que la violence des flots et un « trou », un tohu bohu… Quel avenir après le Déluge ? Dieu lui-même aurait-il eu un trou, une panne d’idée ? La violence de sa condamnation mènerait-elle au chaos originel ? C’est ce que je crois. En tout cas le Dieu Tout-Puissant, le Dieu de tous les jugements et de toutes les justes condamnations ne sait plus quoi faire après avoir mis en œuvre sa colère : elle le déborde et le dépasse.
     « Et Dieu se souvint de Noë » : là il y a le déclic. Et c’est d’abord la fin de la dévastation, la sortie de la colère, du courroux et du jugement. C’est le moment où Dieu (ou l’image que nous nous faisons de Dieu, au choix) bascule. Quelque chose prend à ses yeux la priorité sur tout : Dieu se rend compte que son amour a plus d’importance que son légitime courroux. Ou que ce dernier n’est fort que parce qu’il aime.

3- « ..le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme et il s’en affligea » (6 :6)
« Je ne maudirai jamais plus le sol à cause de l’homme… plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait » (8:21)
« Quand je ferai apparaître des nages sur la terre et qu’on verra l’arc dans la nuée, je me souviendrai de mon alliance avec vous… » (9:14 s)
     Ou quand Dieu se repent de s’être repenti, et s’impose à lui-même une limite… Commentant une fois ce texte, une question dans l’assemblée fuse : «  mais si vous dites que Dieu se repent de s’être repenti, vous mettez en cause l’infaillibilité de Dieu ». Sur le coup je fus surpris, car si je refuse depuis toujours l’infaillibilité du pape, je n’avais jamais réfléchi à celle de Dieu. Mais de fait, nous n’avons pas à y penser : Dieu lui-même dénonce son infaillibilité. Ou plutôt, il y renonce. Avec l’homme, il change de mode d’emploi : il décide d’ouvrir une relation. Celle d’un amour dont l’arc dans la nuée est le signe. Quand j’aurai des motifs d’en vouloir aux humains (les nuages), je ne détruirai plus : mon arc dans la nuée me rappellera que  je veux autre chose.

     Qu’est-ce que l’arc ? Le peuple de l’Alliance (la première et la nouvelle) ? le souvenir de ce moment indicible où il s’est souvenu (et forcément avec beaucoup d’émotions) de Noë ? C’est en tout état de cause la volonté pour Dieu de se souvenir qu’il a choisi une parole de réconciliation plutôt que la légitime condamnation. Quand Dieu se souvint de Noë, c’est le jour où Dieu s’est mis à aimer… et où il s’est radicalement changé… ce que les humains apparemment n’ont pas encore fait.
N’est-ce pas cela que nous appelons la Grâce ? Alors le texte du Déluge n’est pas le récit d’une pâle et « petite » Alliance, vaguement universelle. A tous les submergés, elle donne en début du livre de la Genèse une clé de compréhension fondamentale pour tout ce qui suit.


                            Jean-Christophe Muller (paru dans le journal protestant Ensemble en 2003

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  • Jean-Christophe MULLER
  • observateur engagé dans le monde où je vis avec les autres......
ancien ADJOINT au MAIRE d'ALES (83-95)
ancien CONSEILLER REGIONAL du LANGUEDOC-ROUSSILLON (88-92)
PASTEUR de l'EGLISE REFORMEE de FRANCE (depuis 1999)
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